Je ne résiste pas à vous partager ce texte de « trois poètes itinérants avec un mégaphone qui se balance », Elijah, Eva et Viktoria, dans lequel je retrouve une préoccupation chère à la mécanique des bulles et qui résonnait déjà avec l’invitation d’Ariane Mnouchkine à « Fuir la peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous […] fuir les triomphants prophètes de l’échec inévitable, fuir les pleureurs et vestales d’un passé avorté à jamais et barrant tout futur. »
C’est exprimé ici avec une puissance et une liberté qui donnent de l’air et de l’espoir. Merci à ces trois là !
Au milieu de l’autoroute
Au milieu des voitures
Trois poètes itinérants avec un mégaphone qui se balance
Je manifeste pour les tâches d’encre et de couleurs, pour les mélanges de pinceaux et des crayons et surtout surtout pour une écriture imaginaire.
Il est urgent de jeter le glauque hors de l’écriture contemporaine.
Parce que ça ne fait du bien à personne !
Dans ce monde gris qui nous bouffe le temps et les couleurs et qui nous ramène sans arrêt au mal, le mal des grandes compagnies, des grands politiques, des grandes industries pour qui nous petites âmes devons agir, devons priver, devons informer, sensibiliser, lutter, agir, priver, informer, sensibiliser, lutter, lutter, lutter…
« Engeances de vipères !
La fin des temps est proche ! Convertissez vous ! Des hurleurs du désert de tout bord vous poussent à la perdition depuis la nuit des temps. »
Ce monde qui nous empêche de voir le Monde, le monde coloré et mélodieux, fantastique parfois, le monde où d’un rayon de soleil émane juste assez de chaleur.
Alors il faut écrire, écrire pour échapper au monde gris un instant, pour découvrir autre chose, autre part.
Parce qu’on veut lire et écrire de la vie, pas du zombie !
Parce que le choc par l’horreur empêche l’action.
Sidération
Parce que la commisération morbide et cette espèce de compétition à la misère nous coupe des autres et nous dépossède de notre pouvoir de libération.
Plus de solution
Parce que même si le monde était aussi sombre et poisseux que ça, on a besoin de garder du vivant, de l’espoir, de la possibilité de changement.
Écrire pour vivre et non pour mourir.
Parce que sinon on se tue tous maintenant.
Engeances de vipèèèèèèère !
Vous n’êtes pas des engeances de vipères.
J’ai dit cela pour provoquer votre attention.
Et maintenant puisque j’ai votre intention, je vous le dis.
Parce que le monde n’est pas cette étendue marécageuse où tout vient mourir et où tout le monde s’enfonce doucement dans sa propre impuissance.
Il nous renvoie assez souvent au gris morose pour que l’écriture soit pour les petites âmes, pour que vous aussi vous ayez le droit à l’égoïsme d’un temps de paix et de couleurs, de musique et de chants d’oiseaux et d’arbres.
En tant que nous, poètes itinérants, nous vous disons :
Si vous voulez prendre une part active et joyeuse à la fin des temps, il faut :
- Écrire en sortant pieds nus des théâtres avec une horde qui marche.
Écrire pour exister et faire exister le possible de l’imaginable.
Il est de notre devoir d’écrire de l’espace de changement. - Faire taire le bruit des strapontins.
Écrire pour continuer à écouter le bruit des vagues et à goûter le vent sur sa peau.
Il est de notre devoir d’écrire du beau.
Il est de notre devoir d’écrire du vivant.
Il est de notre devoir d’écrire du mouvement.
Il est de notre devoir d’écrire de l’espoir. - Donner une tarte, un coup de gueule aux Enleveurs d’âme et aux diffuseurs de mauvaise espérance.
Écrire la tristesse oui mais aussi l’espoir. Ne pas se contenter surtout d’une conclusion lue avec un ton morne. - Il est de notre devoir d’abandonner le désespoir incapacitant au profit de la colère motrice.
Écrire pour un monde possible et pas pour un monde dépassé.
Il est de notre devoir de ne pas céder à l’usine à peur et à mélancolie que certains osent utiliser comme définition de l’écriture contemporaine.
Écrire jusqu’à ne plus avoir de voix, hurler jusqu’à ne plus avoir de doigts.
Il est de notre devoir d’abandonner ces écritures du glauque qui s’apitoient sur leur sort à travers des œillères de misère. - Parler d’une réalité pour en écrire une autre.
Il est de notre devoir d’oser écrire autre chose.
Il est de notre devoir de refuser de répondre à la question dans les termes où on nous l’a posée.
Écrire pour continuer à regarder les abeilles butiner à compter les pétales d’une pâquerette, à écouter le son du bois qui craque dans un feu.
Se chauffer à la lumière naturelle du soleil qui fait de l’ombre, prendre son crayon, sa veste, son manteau, sans glagla, sans avoir froid au cœur. - Il est de notre devoir d’écrire pour les autres aussi, de créer de l’ensemble, du solidaire.
Écrire, tourner les guéridons pour chasser les fantômes, allumer mille bougies et mille servantes, accomplir un pèlerinage sans craindre le désert, prendre dans ses bras mille personnes et sourire à l’univers tout entier.
Écrits à goûter, à commenter, à sentir, à vivre, à imaginer, à déguster, à voir et à aimer, à partager si le cœur vous en dit.
Laissez là vos voitures je vous le dis et enfourchez des stylos, voguez dans l’atmosphère, perdez vos mots et retrouvez les dans un champ de marguerites.
Elijah Palacci, Eva Le Neven et Viktoria Rabotova
(Cie le Noyau)